Le Grand Raid 2013 : le retour du fou sur la Diagonale !
En 2011, l’équipe de SWiTCH avait suivi et soutenu Matthieu Gaurin sur la Diagonale des Fous sans pour autant pouvoir se rendre sur place. L’expérience n’avait alors pas été couronnée de succès, mais comme « ce qui ne tue pas, rend plus fort » le rendez-vous avait été pris pour 2013. Et nous étions sur place pour l’accompagner. Il raconte ici sa participation en octobre dernier à cette course réputée pour être l’Ultra-trail le plus difficile au monde.
Du 17 au 20 octobre 2013 se tenait la XXI° édition du Grand Raid, aussi appelé La Diagonale des Fous, sur l’île de la Réunion. Au programme : 163,5 km et 9 950 m de dénivelé positif. La Diag’ est un événement d’une telle ampleur sur l’île qu’il est comparable à une Coupe du monde de football dans un pays comme le Brésil. Grosse nouveauté cette année : le départ a lieu depuis St Pierre – sous-préfecture et principale ville du Sud – ce qui donne à la course une nouvelle envergure. Une chose reste identique : l’atmosphère électrique qui se retrouve tout au long du parcours, même dans les endroits les plus improbables comme au détour d’un bosquet à 3 heures du matin. A noter aussi pour cette édition, des conditions météorologiques clémentes (record de sécheresse de 50 ans) qui favoriseront une course rapide !
En 2011
Après un an d’entrainement, je m’aligne pour mon premier ultra trail à la Réunion. L’aventure s’arrête au bout de 132km sur le Chemin Kaala. Les descentes, la boue et mon manque d’expérience ont eu raison de mes genoux et de ma détermination. Le pari est tout de même gagné : je suis allé au bout de mes possibilités ; la privation de sommeil avait même provoqué même des hallucinations ! Pour ceux qui veulent lire ce récit, c’est ici.
L’avant course
Deux ans plus tard, je suis mieux préparé. Je me suis entraîné dans toutes les conditions météorologiques : neige, pluie battante, chaleur, etc. pour être prêt à affronter les éléments le jour J. Sur les derniers mois, mes genoux et chevilles ont montré des signes de faiblesse. Fin juin, j’ai dû rendre mon dossard au bout de 57km d’un trail à Cortina d’Ampezzo (Italie) pour me préserver. J’arrive donc à la Réunion confiant dans ma préparation, mais inquiet pour mes articulations.
Sur place, le programme des derniers jours est simple : se reposer et repérer la fin de parcours pour générer un a priori positif autour de la zone de mon abandon en 2011. Bilan : je me suis rassuré sur le Chemin Kaala, mais je me suis aussi remis une dose de stress en me tordant fortement la cheville à une semaine du départ. Le reste de l’attente est longue et laborieuse, je me sentais prêt fin septembre et depuis tout semble se dérégler…
La stratégie
Mon objectif est de terminer la course quel que soit la durée de l’effort. Dans un « Ultra« , il faut s’économiser. Ma stratégie de course est donc de freiner et de ne pas me laisser griser par l’ambiance pour être sûr d’aller jusqu’au bout. Ma tactique est de me concentrer sur des petites segments de course, en les prenant l’un après l’autre. Je découpe donc le parcours en 3 tronçons que je décompose en morceaux pour être certain de me concentrer sur l’instant et de ne pas divaguer.
L’aventure
Km0 : Le départ est rapide et ressemble à une arrivée d’étape de Tour de France. Il y a du monde partout : 30 000 personnes ont fait le déplacement pour nous applaudir. Les gens sont extrêmement chaleureux, accueillants et soutenants. Pas facile de tenir ma tactique dans cette folle ambiance : j’ai envie de mettre les watts ! Les premiers kilomètres de course sont rapidement avalés.
Km15 : je n’échappe pas aux traditionnels « bouchons » dans les premiers passages techniques et étroits. Je perds une heure à attendre. Une fois bien refroidi, les nuages enveloppent le parcours et jettent un froid sur les participants. Les coureurs autour de moi ont l’air assommés et hagards. Je trottine dans un crachin breton. Tout va bien, merci l’entrainement dans les conditions difficiles ! 😉
Km40 : Piton Textor, 1er ravitaillement avec Armelle, en charge de mon assistance tout au long du parcours. Je suis pile dans le timing et m’offre même 5 minutes de sieste flash.
Km 52 : Dans la remontée en direction du cirque mythique de Cilaos, la progression se fait à la queue leu-leu. Les dépassements ne sont pas aisés jusqu’à ce qu’un coureur Péï (un local, comme on dit là-bas !) me rattrape et me montre la voie. Le sentier semble d’un coup plus large et les possibilités de progression démultipliées. La connaissance du terrain est un véritable atout et j’engrange un maximum d’expérience en le suivant. Dans une portion plus roulante, il accélère et je le laisse filer. Un grand moment pour moi, suivi d’un premier passage complètement à vide. Je ne sais pas où je suis, je marche à flanc de falaise, dans un sentier difficile et ce n’est plus drôle. Je m’arrête m’étire, m’alimente, met de la musique et ça repart. Ouf !
Km60 : J’aborde la descente sur Cilaos – réputée extrêmement difficile – dans les meilleurs conditions, et profite de l’expérience tout juste acquise pour laisser dérouler les jambes et même doubler quelques coureurs.
Km65 : J’arrive à Cilaos relativement frais, mais très énervé. Je respecte pourtant jusque-là le plan de progression à la lettre, le 1er tronçon de ma course est fait. Après un rapide massage et un bon déjeuner, j’étais sensé dormir pour aborder au mieux la deuxième nuit. La musique est forte sur le Stade et les coureurs bruyants dans la tente de repos. Du coup, je ne ferme pas l’œil et suis agacé d’avoir « perdu » mon temps.
Je me remets en route en direction du cirque de Mafate via la redoutée montée du Taïbit. En 2011, cette étape était passée comme une lettre à la Poste, je suis donc confiant. Erreur, car je suis poussif dans le premier tronçon. J’ai du mal à boire… et arrive au check-point intermédiaire tout barbouillé !
Km72 : J’ai le sentiment que mon corps ne veut plus des boissons énergétiques, ni des gels bourrés de sucre dont je me nourris depuis le début de la course. J’attrape une banane, aliment dont j’ai absolument horreur, mais que je sais énergétique et moins sucré. A 200m du sommet je suis en nage, à 2 doigts de vomir, persuadé d’être bien loin du col et me demandant s’il est raisonnable de continuer dans ces conditions ! Je somnole quelques minutes sur un rocher, puis me relance derrière un groupe de coureurs. Arrivé au col pourtant si proche, je contacte Armelle pour lui faire part de mes doutes.
Km77 : Après un bon coup de pied aux fesses d’Armelle, quelques conseils, un repas chaud et une sieste salvatrice dans la tente de ravitaillement malgré l’affluence à Marla, je repars requinqué et me sens béni des dieux. Le flow serait-il de retour ?
Km94 : La deuxième nuit est déjà bien engagée et je vois de plus en plus de coureur « faire la papillote » en dormant dans leur couverture de survie sur le bord du chemin. Je me demande bien ce qui a pu les pousser à s’arrêter là plutôt que de progresser jusqu’au check-point suivant…
Arrivé à Ilet-à-Bourse sur les coups de 2h00 du matin, je pensais trouver de quoi m’abriter pour dormir. Mais ce n’est finalement pas possible. Du coup, à mon tour, je m’enroule dans ma couverture de survie et m’effondre de sommeil. Il me faut bien deux rappels du réveil après 80 minutes dans les bras de Morphée.
Km100 : Après quelques montagnes russes typiques des chemins réunionnais, se présente la célèbre Montée du Maïdo, décrite comme… verticale ! Il faut imaginer un sentier qui serpente dans une paroi d’escalade de 1 500m de haut. Je l’aborde à « ti pas, ti pas », comme on dit ici, et débouche au sommet plutôt facilement. Le 2ème tronçon est bouclé et j’éprouve un sentiment de satisfaction d’être sorti de Mafate !
Km111 : Pour le dernier tronçon, le plan est simple : assurer pour être certain de finir la course. J’en profite donc pour prendre 40 minutes de pause au sommet où Armelle m’a retrouvé. Il flotte une atmosphère agréable de pique-nique dominical familial et les trépignements du début de la course semblent bien loin.
Km124 : Mon genou gauche commence à me lancer de plus en plus, je m’étire et repositionne ma rotule régulièrement. 1700m de descente plus tard j’arrive sans trop d’encombre au bien nommé point de ravitaillement de Sans Soucis. Je suis surpris que cette descente – que je redoutais tant – se soit s’y bien passée, mais je ne veux pas m’autoriser à commencer à y croire !
Km129 : A Halte-Là, dernier « ravito » avant l’arrivée, je suis accueilli comme un prince par l’équipe de bénévoles (kinésithérapeuthes + Podologues). Pour eux aussi, c’est un long marathon ! Pourtant ils restent tous super souriants et pro, j’adore ! Ils sont pas moins de deux à me masser les jambes sur une table baignée par un soleil de fin journée, quand l’un des kinésithérapeute décrit exactement ma douleur au genou, et me pose un strap en prévention. Je me sens soulagé et m’offre 45 minutes de sieste profonde malgré l’agitation qui règne dans le stade. Il est temps d’affronter le Chemin Kaala. Dans la montée en direction de Dos d’Âne, je rejoins un groupe de trois coureurs. La discussion va bon train et, finalement, le passage de ce point délicat s’en trouve grandement facilité. Merci les gars !
Km143 : À la Possession, la transition entre la nature sauvage et la ville est violente. Les rues grouillent de monde, le faible éclairage et l’animation incessante sont pesantes après 48 heures d’effort. Heureusement, Armelle s’est avancée sur ce check point ce qui me permet de rester dans ma bulle. Vient ensuite le Chemin des Anglais, ancienne voie pavée qui est maintenant toute défoncée par les intempéries. En bref, un vrai champ de bataille pour les chevilles ! De nuit c’est en fait assez monotone ; les pas s’enchainent au milieu du tracé où les pierres sont presque plates et alignées… quand surgit un arbre au milieu du chemin ! Suis-je en train d’halluciner par manque de sommeil ? Nous sommes quatre coureurs à l’éviter au dernier moment en faisant un pas de côté. A ce stade, impossible de dire si nous avons eu une hallucination collective. Il me faudra attendre le lendemain et une discussion avec d’autres participants pour avoir la confirmation qu’il était bien réel !
Km159 : Les pauses sont de plus en plus longues et il y est bien difficile de me sortir du sommeil. Je repars au petit jour du Parc du Colorado. Encore 4 km et j’aurai réalisé mon rêve. En même temps que le soleil se lève, je prends conscience du chemin parcouru en deux ans. L’émotion est forte ! Pour autant, je fais tout mon possible pour rester concentré et ne pas me blesser si près du but.
Km163,5 : Dimanche 20 octobre 2013 à 07h02, après 56h02 d’effort, je lève les bras sur la ligne du Stade de La Redoute, en compagnie d’Armelle à qui j’ai demandé de me rejoindre pour les dernières centaines de mètres. Je l’ai fait !
Merci à :
- Armelle pour le coaching et « l’Ultra de l’assistance » ;
- Amis, famille, collègues, partenaires d’entrainement, tout ceux qui ont littéralement tué leur touche F5 pour rafraîchir les pages du site de pointage, ceux qui se sont relevé la nuit pour checker ma progression, ainsi que tous ceux qui m’on envoyé des SMS de soutien.
Texte : Matthieu Gaurin
Photos : Armelle Solelhac & Maindru Sport